Au fil de l’eau, au fil du linge

publié le 18 août 2025

Dans une société malgache où le mot « féminisme » provoque méfiance et parfois rejet, il est essentiel de redéfinir ce terme avant d’explorer la condition des lavandières. Le féminisme ne signifie pas la guerre des sexes, ni la supériorité de la femme sur l’homme : il vise l’égalité réelle des droits, des chances, de la dignité entre femmes et hommes et la liberté de choisir sa vie. Le féminisme cherche à mettre en lumière les inégalités et à soutenir celles et ceux qui, chaque jour, luttent pour leur reconnaissance dans l’ombre d’une société patriarcale.

Les lavandières : ces femmes invisibles

À Madagascar, le métier de lavandière est presque exclusivement féminin et appartient à l’économie informelle. Les lavandières lavent le linge à la main dans les rivières ou les lavoirs, souvent sous le soleil ou la pluie, pour des rémunérations dérisoires. Elles peuvent laver entre 50 (cinquante) et 100 (cent) pièces de linge par jour, pour un revenu journalier qui varie généralement entre 4 000 et 7 000 Ariary (soit environ 1 à 2€).

Ce travail n’est pas reconnu officiellement car il n’a pas de contrat ni d’assurance et ne prévoit aucune sécurité ni retraite. Parmi les lavandières, nombreuses sont des mères seules qui n’ont d’autre choix que ce métier précaire pour survivre et nourrir leur famille. Malgré des journées harassantes et un revenu immédiatement consacré aux besoins de base, la société considère ce travail comme « naturel » pour les femmes, renforçant ainsi des rôles de genre séculaires.

Un quotidien de précarité et d’invisibilisation

Si nombreuses sont les femmes Malagasy à exercer ce métier, rares sont celles qui reçoivent reconnaissance ou respect. Elles enchaînent jusqu’à 12 heures de travail par jour, sans congé possible, exposées à la fatigue, aux maladies liées à l’eau et aux douleurs physiques. Les tarifs sont négociés à la pièce et restent insuffisants pour espérer sortir de la précarité autant économique que sociale (absence de protection sociale et aucun recours en cas d’accident ou de maladie).

Le fait que ce travail qui est presque exclusivement féminin reste informel, non protégé, invisible ou minoré, reflète une société où la condition féminine vacille autour du sacrifice et du silence.

La solidarité qui fait émerger un féminisme du quotidien

Dans ces espaces ouverts ; rivières, lavoirs, se créent des cercles de paroles, des amitiés, de l’entraide et du partage. Les lavandières se soutiennent moralement, notamment celles qui font face aux violences conjugales, discutent des difficultés avec les enfants, échangent des astuces de la vie quotidienne et partagent leurs rêves. Ce lien social, où les femmes s’écoutent et s’entraident dans l’adversité d’une situation précaire, reflète la sororité et le féminisme en acte. Face au mépris ou à l’indifférence, elles résistent : « C’est un travail qui nous nourrit. Ceux qui critiquent ne savent pas ce que nous vivons. » Cette solidarité quotidienne est une force contre l’oppression et l’exclusion.

Un féminisme malagasy réinventé

Dans ce pays où la société reste profondément patriarcale, toute remise en cause des rôles de genre ou analyse genrée d’une situation dérange. Cependant, les lavandières incarnent, à leur manière, un féminisme enraciné dans la réalité quotidienne. Exiger la protection sociale, la reconnaissance de leur métier et la valorisation du travail dit « féminin » sont des revendications légitimes.

Leur combat est à la fois discret et puissant : il s’agit de faire reconnaître leur dignité, leur valeur et leur droit à une vie meilleure. C’est ainsi, au fil de l’eau et du linge, que s’écrit un féminisme du quotidien, le vrai visage de la lutte pour les droits des femmes à Madagascar.

Conclusion

À Madagascar, le féminisme n’est pas uniquement une idée ou un slogan : il se manifeste également dans la vie de tous les jours et le travail des lavandières en est une image puissante. Chaque jour, par leur courage et leur sororité, elles soutiennent leurs familles et leur communauté, souvent dans l’ombre et sans reconnaissance. Pourtant, leurs efforts témoignent d’une véritable force collective : celle qui rend possible un avenir plus solidaire. Reconnaître leur rôle, ce n’est pas seulement leur rendre justice, c’est aussi rappeler que le féminisme se construit dans le respect et la valorisation des femmes précaires qui se battent chaque jour pour une vie meilleure. C’est ainsi que le féminisme, adapté à notre réalité, devient une voie concrète vers une société plus juste, pour les femmes comme pour les hommes.

Sources

  •  Article sur le féminisme et société à Madagascar. (2022).
  • Mamacash. (s.d.). Témoignages et luttes solidaires des femmes à Madagascar.
  • Midi Madagasikara. (2019). Métier précaire : Situation difficile pour les lavandières malgaches.
  • Midi Madagasikara. (2019). Métier précaire.
  • Newsmada. (2025). Conditions de travail des femmes à Madagascar.
  • ONG Mirana. (2023). Celles qui travaillent dans les rivières.
  • RFI. (2019). Concours de lessive pour la Journée des femmes.