L’(in)accès à la justice en matière de violences conjugales

publié le 28 juillet 2025

Les violences conjugales comme une affaire privée dans l’imaginaire collectif 

Selon une étude de Afrobarometer, 70% des malgaches considèrent la violence conjugale comme une affaire privée. Ce chiffre révèle à la fois la permanence d’une norme sociale qui cantonne ces violences au domaine intime et l’absence d’une reconnaissance collective de leur caractère inacceptable. Cette perception contribue à maintenir les victimes dans une situation d’isolement et sans soutien institutionnel des comportements abusifs.

Selon l’ONU, une femme sur quatre a été victime de violences physiques de la part de son conjoint en 2018. En 2024, midi Madagasikara rapporte qu’environ quatre femmes non célibataires sur dix âgées de 15 à 49 ans ont subi un acte de violence physique, émotionnelle ou sexuelle de la part de leur partenaire.

La reconnaissance juridique a quant à elle, connu une certaine évolution : le viol conjugal est désormais explicitement reconnu et sanctionné. De même, diverses infractions pénales sont prévues pour la violence physique, psychologique, économique, les menaces ou les intimidations. Cependant, la difficulté demeure à traiter ces violences comme des questions de droit public et de dignité humaine plutôt que comme des querelles privées.

Ce que dit la loi en matière de violences conjugales 

La législation malgache en matière de violences conjugales a connu quelques évolutions ces dernières années. La loi n°2019-008, adoptée le 16 janvier 2020, constitue un tournant important. Elle élargit la définition des violences basées sur le genre en intégrant non seulement les violences physiques et sexuelles, mais aussi les violences psychologiques et économiques. Cette nouvelle loi institue des peines d’emprisonnement et des amendes. Par ailleurs, elle met en place des dispositifs dédiés à la protection des victimes, comprenant une prise en charge globale, un accompagnement juridique, sanitaire et psychosocial, ainsi qu’un mécanisme national chargé de coordonner la lutte contre ces violences.

Avant cette avancée, la loi n°2000-021 du 28 novembre 2000 avait déjà opéré des modifications du Code pénal malgache en ce qui concerne les violences conjugales et sexuelles. L’article 312 sanctionne les violences conjugales par des peines d’emprisonnement allant de deux à cinq ans et à des travaux forcés. Cette disposition pénalise également le viol et l’attentat à la pudeur, infractions pour lesquelles les peines encourues peuvent atteindre cinq à dix ans de prison. L’article 312 bis prévoit une aggravation de la peine lorsque la victime est une femme enceinte.

Cependant, il est nécessaire de relever que cette loi ancienne demeurait essentiellement centrée sur la répression des violences physiques. La dimension psychologique ou morale des violences n’e était pas prise en compte explicitement dans le texte, ce qui posait question quant à la reconnaissance des différentes formes d’abus.

De façon plus générale, le Code pénal prévoit la répression des coups et blessures, en incluant expressément l’époux ou l’épouse parmi les victimes protégées par la loi. Cette inclusion marque une volonté d’étendre la protection juridique à la sphère conjugale, pourtant encore largement considérée socialement comme une sphère uniquement privée.

Malgré ces avancées juridiques, plusieurs limites persistent. La reconnaissance des violences psychologiques et morales dans le cadre légal reste insuffisante. De plus, la mise en œuvre pratique des dispositifs légaux est souvent entravée par plusieurs obstacles : la stigmatisation sociale des victimes, la minimisation de la souffrance globalement féminine et la prégnance des normes patriarcales. Le poids de ces derniers peut grandement freiner la dénonciation légitime des violences.

La nécessité d’une condamnation morale pour aboutir à un accès à la justice 

Les chiffres et les témoignages mettent en lumière une constante préoccupante au sein de la société malgache : les violences conjugales restent largement tues et déniées dans le discours public.

Ces actes ne sont pas encore pleinement reconnus sous leur véritable nom de violences, mais plutôt réduits à des querelles de couple dont il ne faudrait pas s’immiscer. En effet, la lecture pénale de ces violences est vue comme une forme d’ingérence vis-à-vis du couple concerné. Cette invisibilisation des violences est une entrave majeure à toute évolution juridico-sociale ainsi qu’à toute volonté d’appliquer correctement la loi qui régit les violences conjugales. 

Malgré l’existence de textes juridiques condamnant toute atteinte à la vie ou à la sécurité d’autrui, la mentalité collective manifeste une absence de condamnation morale des violences conjugales. Or, c’est précisément de cette condamnation sociale que dépend l’accès à la justice pour les victimes et la mise en œuvre effective des lois et dispositifs visant à les protéger. 

Cette absence de condamnation morale engendre ainsi un sentiment d’intouchabilité pour les bourreaux et renforce l’isolement des victimes. Ces dernières sont souvent accablées d’un sentiment de culpabilité et de résilience forcée tout en endossant la responsabilité des violences qu’elles subissent. Ce retournement de la charge vers la victime constitue un mécanisme puissant qui protège l’agresseur. De ce fait, sans une condamnation claire et collective des violences conjugales, la loi restera lettre morte et les victimes continueront de souffrir en silence.

Bibliographie : 

  • Rakotondraibe, L., & Andriamanantena, N. A. (s.d.). La violence conjugale est encore considérée comme une affaire privée par les Malgaches (Dépêche No. 763). Afrobarometer.
  • UNICEF. (2018). Madagascar 2018 Violence domestique – Enquête par grappes à indicateurs multiples (MICS). https://mics.unicef.org/
  • Midi Madagasikara. (2024, février). Violences conjugales : 41 % des femmes ayant déjà été en couple concernées. https://www.midi-madagasikara.mg/
  • République de Madagascar. Code pénal malgache (loi applicable à la violence conjugale).